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Innovation

Design et optimisation de réseau de distribution postal : le cas urbain

06/12/2023 Par @dmin-lps23

 

Au cours des dernières années, Le Groupe La Poste a entrepris une profonde transformation et réorganisation de ses activités de livraison en réponse à l’ambition de la ville de Paris de décarboner les moyens de livraison à horizon des Jeux olympiques de 2024.

Le groupe a décidé de repenser la manière dont les colis et le courrier sont acheminés jusqu’au destinataire final en introduisant de nouveaux moyens de transport et méthodes de livraison plus vertueuses.

Cet article traite de la méthodologie utilisée à l’échelle d’une ville pour optimiser les activités de livraison ainsi que sur les problèmes et limites opérationnelles auxquelles font face les équipes au quotidien.

Historiquement, un réseau postal de distribution se composait de plusieurs éléments distincts et répliqués dans la majorité des villes de France. Le flux de marchandise était acheminé depuis une plateforme régionale industrielle jusqu’à une plateforme locale depuis laquelle partaient des cohortes de véhicules motorisés rayonnant sur la zone de chalandise de la plateforme locale et couvrant tous les types d’urbanisme du rural clairsemé à l’urbain dense.

Figure 1 : Réseau historique de distribution urbaine

Ces dernières années ont vu s’accentuer le clivage entre le métier de la livraison en zone urbaine et en zone rurale, notamment dû à un exode rural de plus en plus fort. La ruralité, de plus en plus clairsemée dû à la baisse inexorable des flux de courrier, voit l’activité des facteurs obligée de se densifier en incluant de plus en plus de services additionnels de façon à pouvoir les pérenniser.

La zone urbaine quant à elle, possède une activité d’une densité de plus en plus forte ainsi que des contraintes de plus en plus présentes : création de Zone à Faible Emission (ZFE), forts trafics….

C’est pourquoi il a été naturel d’introduire de nouveaux moyens de locomotion dans la flotte de La Poste : des vélos cargo.

Ces vélos présentent des différences majeures dans l’approche de livraison par rapport aux voitures : les premières partaient historiquement d’en dehors de la ville, pleines, pour la totalité de la journée et possédaient une forte capacité d’emport. Elles étaient cependant soumises aux contraintes de circulation fortes, sensibles aux PV de stationnement lesquels ont vu leur tarif augmenter et une automatisation des contrôles et très lentes dans un environnement urbain dense. Les vélos quant à eux, possèdent un emport beaucoup plus faible mais une agilité nettement plus grande et une vitesse moyenne plus importante que leur contrepartie motorisée. Ils nécessitent cependant de venir se recharger à la mi-journée car leur capacité d’emport n’est pas suffisante pour permettre de remplir une journée entière. Il est donc nécessaire d’introduire de nouvelles capacités foncières (ou Micro-hub) en cœur de ville que nous appellerons Espaces Logistique Urbains (ELU) depuis lesquels partent les vélos cargo.

Nous nous retrouvons face à un problème d’optimisation classique de la littérature, bien connu des chercheurs en recherche opérationnelle : le multi-echelon location routing.

Concrètement les questions pour La Poste sont : Où devons-nous placer nos Espaces Logistique Urbains ? Combien devons-nous en mettre ? Comment doivent-ils être désignés ? Quelle doit-être leur zone de chalandise ? Où tracer la limite entre l’utilisation des vélos et celle des voitures ? Et pour finir : pouvons-nous y trouver une rentabilité économique et organisationnelle ?

Figure 2 : Réseau cible intégrant un nouvel échelon de distribution

Si ces questions peuvent sembler simples par leur énonciation, elles soulèvent toutes des complexités opérationnelles nouvelles.

L’une des premières complexités est d’arriver à estimer les coûts de distribution. En effet, les biens à livrer étant différents d’un jour à l’autre, les tournées ne sont pas figées dans leur parcours, bien qu’elles le soient sur leur zone géographique.

Comment pouvons-nous estimer le coût d’une tournée sans en connaitre son trajet exact ? Cette question qui peut paraitre folle a en réalité été au cœur de la recherche pendant des années [Carlos Daganzon 1999 et Matthias Winkenbach 2016]. Pour ceci nous utiliserons des méthodes constructives d’agrégation aussi appelées RLE pour Route Length Estimation.

Figure 3 : Exemple schématique d'organisation de distribution

Ces méthodes moyennées permettent, en agrégeant les coûts relatifs à chacun des éléments d’une tournée (nombre de colis/lettres à livrer, temps moyen de livraison, temps moyen de déplacement entre deux points de livraison…) sur une zone particulière, d’estimer les coûts journaliers d’une tournée de livraison. Effectuant cet exercice sur chacun de nos moyens de locomotion différents et couplé à l’extraction de l’open data, nous arrivons à construire un graphe routier complet que nous pouvons partitionner en zones sur lesquelles nous sommes capables d’estimer le moyen de locomotion le plus efficace.

Figure 4 : Exemple de découpage sur la ville de Bordeaux

Connaissant dès lors les coûts associés à la distribution journalière, un modèle d’optimisation peut être posé pour répondre aux questions que nous nous sommes précédemment posé. L’idée sous-jacente est de partitionner notre ville en zones à associer à des dépôts potentiels.

Nous nous dotons d’un ensemble de zones, d’un ensemble de dépôts potentiels, d’un ensemble de véhicules potentiels devant être utilisés pour répondre à une demande quotidienne. Les voitures continuent de partir depuis les dépôts péri-urbains locaux au matin. Les dépôts urbains depuis lesquels partent les vélos doivent être alimentés par liaison gros porteur au matin avant que les vélos-cargo puissent partir en livraison.

Schématiquement, un tel réseau correspond à un réseau 2-échelons :

Figure 5 : Exemple de réseau 2-échelons

Le modèle d’optimisation posé est donc un modèle permettant de minimiser les coûts opérationnels journaliers tout en permettant de répondre au flux de demande :

Après résolution, ce modèle nous permet d’exprimer le nombre optimal d’ELU à ouvrir ainsi que la composition de la flotte et l’allocation de chacune des zones de distribution à un ELU.

Attention, l’utilisation d’un tel modèle peut vite se révéler très gourmand en ressources pour arriver à une convergence vers la solution optimale et des adaptations locales doivent être envisagées si le modèle se révèle être insolvable. Appliqué à toutes les villes de France, ce modèle nous permet d’anticiper et de repenser la totalité de notre réseau de distribution en étant force de proposition auprès des opérationnels locaux.

Figure 6 : Exemple de résolution d'une instance sur la ville de Paris

Nos résultats suggèrent que l’utilisation de données ouvertes et de méthodes d’agrégation peut simplifier le problème, rendant l’application de formulations de problèmes de routage de localisation à 2 échelons moins pertinente en raison de leur complexité de calcul. Sur la base de nos recherches, nous proposons les conseils de gestion suivants pour la mise en œuvre de la conception du réseau :

– Exploiter les sources de données ouvertes : Des données ouvertes précises et à jour peuvent être utilisées pour améliorer la prise de décision dans la conception de réseau. Les gestionnaires devraient explorer les sources de données ouvertes disponibles pour mieux comprendre les modèles de demande, la topologie urbaine et l’infrastructure de transport. Ces informations peuvent aider à construire des modèles précis et robustes, permettant des décisions plus éclairées.

– Utiliser des méthodes d’agrégation : Les méthodes d’agrégation, telles que les modèles basés sur des rasters, peuvent aider à simplifier les problèmes à grande échelle sans sacrifier la qualité de la solution. En agrégeant la demande en zones significatives, les gestionnaires peuvent se concentrer sur des décisions stratégiques concernant les emplacements des hubs et les allocations, tout en réduisant la complexité associée aux décisions de routage.

– Considérer le passage à l’échelle et la flexibilité : À mesure que les réseaux logistiques urbains évoluent et grandissent, la capacité de s’adapter et de répondre aux changements est cruciale. Les gestionnaires devraient prioriser le développement de modèles et de méthodes pouvant s’adapter aux changements de demande, à la composition de la flotte et aux contraintes réglementaires, permettant aux organisations de répondre efficacement aux défis futurs.

– Adopter une approche holistique de la conception du réseau : Afin de parvenir à un réseau logistique urbain durable et efficace, les gestionnaires devraient prendre en compte les interdépendances entre les décisions stratégiques, tactiques et opérationnelles. En intégrant ces aspects dans un cadre de prise de décision unique, les organisations peuvent mieux aligner leur conception globale de réseau avec leurs objectifs stratégiques et contraintes opérationnelles.

Développer des approches qui prennent en compte les routes comme un élément unidimensionnel d’un réseau de demande global afin d’éviter les imprécisions qui pourraient être causées par un regroupement arbitraire est un facteur clé d’amélioration dans les recherches futures. Ce type de nouvelles approches unidimensionnelles permettra une modélisation beaucoup plus détaillée de la logistique urbaine et sera capable de prendre en compte la congestion du trafic en introduisant un concept d’estimation de la congestion route par route.

Deuxièmement, le modèle que nous proposons ici est statique et ne fait aucune différence entre les différentes périodes de la journée. Cependant, le taux de réussite de livraison peut également être vu comme une fonction du temps où il peut varier en fonction de la présence de personnes à leur domicile si nous parlons de B2C, ou des heures d’ouverture des entreprises si nous envisageons un modèle commercial plus orienté B2B. Une livraison indifférenciée comme celle opérée par La Poste nous conduit à encore plus de complexité dans l’optimisation de tels taux de réussite.

Enfin, nous pouvons voir que dans notre modèle, le résultat de sortie est un réseau en forme d’arbre ne permettant pas d’expédition directe d’un Micro-Hub à un autre. Par conséquent, le flux de colis intra-urbain doit toujours sortir de la ville pour être traité et livré. Cependant, étant donné que des niveaux de service élevés tels que la livraison le jour même ou même la livraison en demi-journée sont de plus en plus demandés, transformer le réseau en un réseau hyperconnecté inspiré de l’idée d’Internet physique peut être une solution à explorer.

JOHAN LEVEQUE

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